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D.P.S revival

Hier soir, la quête d’un film à regarder en famille s’est arrêtée sur Le Cercle des Poètes Disparus. Nos enfants nés après l’an 2000 en avaient entendu parler et étaient curieux de le voir. Pour nous parents, la question était de savoir s’il avait bien vieilli, s’il fonctionnait encore.

Hiver 89-90, à la mi-temps du lycée. J’étais en première et avais donc l’âge des garçons du film. J’étais amoureux d’une fille à qui je trouvais un charme anglais irrésistible, elle s’appelait Emily. Elle était en C avec la plupart de mes potes, je glandais en A1. Elle menait sa barque scolaire avec un pragmatisme très anglo-saxon, je jouais les écorchés en écoutant « Noir-Dez ». Pour moi la littérature était plus qu’une chose forcément mal enseignée à l’école, c’était un truc à vivre, pile le discours tenu par Keating dans ce film-phénomène qui alimenta un temps nos discussions de flirt (beaucoup trop platonique à mon goût) et qui nous donna l’occasion de surjouer nos personnages, elle de réac’ à la perverse froideur, moi de romantique intransigeant – c’était aussi l’année d’Un monde sans pitié, et je glissais un « putain » révolté dans toutes mes phrases, à la manière d’Hippolyte Girardot.
Elle pointait la responsabilité du prof, qui avait outrepassé son rôle, contrairement au père de Neil qui était dans le sien ; je défendais bien sûr le message émancipateur de Keating, tout en affectant une distance un brin méprisante à l’égard de ses méthodes, ses trop grosses ficelles, du genre on ne me l’a fait pas, je suis au-dessus de ça, moi qui suis déjà affranchi n’est-ce pas – tout ça pour masquer la joie trouble que j’avais eue à regarder ce film : je me débattais dans le marasme adolescent et voilà que l’œuvre de Weir entrait complètement en résonance avec ce qui m’agitait à l’époque ; la vérité était qu’elle m’avait bouleversé, comme des millions de personnes, en osant poser sans vergogne cette question totalement anachronique: a-t-on le droit, est-il possible de vivre en poésie ?

La réponse à l’interrogation formulée en préambule est positive, comme en attestent les réactions de nos grands enfants hier soir. La qualité des plans, le rythme de la narration, la savante composition de scènes amusantes et poignantes, les prestations des acteurs, l’emphase maîtrisée du propos, tout concourt à en faire un grand film de genre, apte à traverser le temps et à être revu avec un plaisir je ne dirais pas intact, mais réel. Quant à la question fondamentale qu’il pose, je tente encore d’y répondre depuis 34 ans.