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Rennes-Brest A/R

Samedi 7 décembre

Darragh souffle encore fort ce soir et pousse bruyamment contre les huis. Je n’ai pas sommeil, ayant fait la sieste cet après-midi après avoir arpenté les halls de Bruz une bonne partie de la nuit dernière. Circonstances qui m’amènent à raconter cette expérience en terrain connu qui m’est arrivée hier.

Nous (ma compagne et moi) étions à Rennes depuis la veille. Saisissant l’occasion d’une grève pour la défense de la fonction publique, nous avions décidé de faire d’une pierre une rolling stone : nous joindre au cortège des collègues rennais pour exprimer notre colère à l’encontre des déclarations du moustachu ministre en charge de notre secteur au sein de l’éphémère gouvernement Barnier, notre rejet aussi, devenu épidermique, du ravi de la crèche qui s’accroche comme un forcené à son poste de président, et en profiter pour renouer avec les Transmusicales.

Je passe sur le plaisir de ces retrouvailles et sur les multiples découvertes que nous avons faites, ce n’est pas l’objet de cette chronique.

Le fait est que hier, vendredi, j’ai pris le TER de Rennes pour aller faire cours dans mon lycée brestois. Nous étions logés du côté de Bréquigny, j’ai pris la voiture pour la garer près de la gare dans une ambiance de crachin très … brestoise. Départ 6h, arrivée 8h25. J’ai somnolé comme un appelé, en me recroquevillant entre deux sièges, la tête sur mon barda (mon sac de cours et mon manteau) contre l’accoudoir côté couloir, jusqu’à Morlaix, puis j’ai entrepris de reprendre forme présentable, en me remémorant les dix ans d’allers-retours entre ces deux cités (Morlaix/Brest) quand j’étais jeune enseignant, et en écoutant les bribes de conversation de gens qui font actuellement ce trajet.

À l’arrivée, il a fallu crapahuter : prendre l’escalier pour attraper Gambetta, puis la rue de la République vers laquelle convergeaient de jeunes parents menant leurs gamins vers les écoles, longer le cimetière de Saint-Martin pour remonter vers l’Octroi, bifurquer vers le Pilier rouge où s’installait le marché, prendre la ruelle – si familière depuis Casiers[s] – qui mène à Jaurès, ensuite le ribin de Kerfautras, la descente de la rue Lesven en passant devant le collège où j’ai travaillé 12 ans … bref, je suis arrivé tout juste à l’heure pour mon premier cours à 9h.

Mais quel plaisir de marcher à nouveau dans ma ville de cette manière ! Le temps s’était éclairci, il faisait frais. La claque océane, l’amplitude de la rade, la lumière au lever du jour… C’était beau et vivifiant, et les quartiers traversés s’éveillaient sereinement.

Quand je suis sorti du lycée à 15h pour faire le chemin inverse, le crachin était revenu et je suis entré trempé dans le TGV. Arrivé à Rennes, je suis descendu directement au Liberté rejoindre ma compagne pour assister aux concerts de début de soirée, puis nous sommes remontés vers la gare pour récupérer la voiture. De grandes boules à facettes projetaient des taches lumineuses aux abords de la gare dont la refonte a été si longue. Du haut de sa butte artificielle bordée de tubulaires décoratifs, en contemplant cette place qui, bien que remodelée, demeure si typiquement provinciale, et dépourvue de perspective, puisque la vue de l’avenue Janvier était masquée par un grande sapin de Noël, quand on vient de Brest, on ne peut que se sentit à l’étroit.

Et oui, c’était encore là que je voulais en venir : un panégyrique de la cité du bout de notre bout de terre ; sauf que l’aller-retour ferroviaire d’hier était aussi un voyage dans le temps, à la faveur duquel je me suis rendu compte qu’il était plus difficile de la défendre quand j’étais plus jeune – du fait justement de ma jeunesse, peut-être, mais surtout parce que Brest a changé d’allure ; le complexe d’infériorité a disparu, et il me faut désormais faire attention à ne pas toiser les gens de la « capitale ».

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dans l’œil du corbeau

Le 11 septembre 2020, un pigiste de Ouest-France nous prenait en photo, moi et ma compagne da viken, pour le lancement du festival de BD de Brest – cette photo, prise sans masque sur la passerelle du jardin des explorateurs.

On était assez contents du truc, un des très rares événements culturels à se maintenir dans le pays, au prix d’efforts, de tensions, d’angoisses continus, depuis le « nous sommes en guerre » de l’autre con, jusqu’à cette bouffée d’oxygène hyper réglementée.

Deux mois plus tard, l’homme qui a pris cette photo est mort sans crier gare, le 11 novembre.
Il s’appelait Rémy Talec. Je ne le connaissais pas intimement, mais sa personne m’était familière, sa silhouette d’abord, de grand échalas figé dans les années punk/cold que tout le monde avait dans l’œil à Brest ; son tempérament ensuite, mélange de timidité, d’espièglerie et de … partialité, parce qu’il avait quand même ses chapelles musicales, comme tout grand fan de musique.

Le choc a été plus que brutal, d’autant qu’il s’ajoutait à un autre traumatisme (Samuel Paty).
Dans les jours qui ont suivi sa mort, passée la sidération, je me suis dit, ou plutôt j’ai dû me résigner à penser : ma jeunesse est finie, à partir de maintenant je vais glisser, sur une pente de plus en plus raide, vers l’extinction.
Rémy : tu incarnes ça pour moi ; je t’ai pleuré, mais en fait j’ai pleuré sur mon sort.
Je te salue, camarade, dans la mort.

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passage de flamme

Cette photo des archives de Brest diffusée récemment sur Facebook me touche, pour plusieurs raisons.
Elle est datée de septembre 1991, le 18 exactement, c’est-à-dire à quelques jours ou semaines près le moment où j’ai fait mon entrée en tant qu’étudiant dans la grande cité de béton. À cette époque je ne connaissais pas ce côté de la ville : j’habitais rue Brossolette, sur l’autre rive de la Penfeld, à « Brest même ».
Mais moins de deux ans plus tard, en mai 93, le lendemain de mes 20 ans, j’ai assisté au sacre européen de l’OM dans un logement qui se trouvait juste au-dessus du garage Peugeot-Talbot que l’on voit au fond, dans le virage. J’en ai un souvenir factuel, très vague, parce qu’il n’y avait aucun affect concernant l’événement, surtout pas du côté de mes hôtes, deux cousins de Douarn qui se foutaient du foot – l’un des deux a piqué une tête fatale dans le port de co’ peu de temps après.

Ce carrefour, j’ai appris à le connaître bien plus tard, à partir de 2006, quand on a aménagé à Mesdoun. En remontant à droite au feu sur la photo on est à Kerangoff où certains de mes enfants ont fait leur primaire à Diwan. À gauche, j’ai mis du temps à découvrir que le cimetière de Recouvrance offrait une des plus belles vues sur Brest. En face le Caboulot a encore une enseigne de bière, mais n’a pas l’air plus en activité qu’aujourd’hui – ce troquet qui, selon une légende urbaine, a accueilli un ange noir, Vince Taylor. Plus bas, en redescendant la côte du grand Turc, après le garage dont je parlais et qui s’est spécialisé ensuite dans la vente discount de pneu comme semble l’annoncer la pub en haut à droite, il y avait le dancing des anciens, le « Petit Jardin » d’après-guerre, où venait danser paraît-il la grand-mère polonaise de ma femme. Ce qui me fait penser à ça, c’est la tignasse de la vieille dame à droite du feu rouge au premier plan qui ressemble un peu à celle de l’ancêtre de ma belle-famille.

A propos de feu, que dire de ce couple d’ados qui se bécotent sous le panneau Recouvrance, ou de l’autre pub garantissant de la douceur à propos d’un fromage, visuel chaud dans un contexte … disons neutre pour ne pas dire hostile … ?
Mais la vérité : cette photo me touche parce que demain, enfin tout à l’heure, je vais prendre la route pour installer mon dernier enfant là où il va poursuivre ses études, loin de ses darons, et de Brest.

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Stade brestois coupe d’Europe !

L’Europe !
Putain : l’Europe !!!
Et sur un tel score, à Rennes …
L’Europe, le Graal, la verte prairie des culs bénis
et peut-être la portion la plus indécente de la sus-dite, celle où l’herbe est plus grasse, le pré carré des nantis, l’espace VIP où un club comme le nôtre n’a pas sa place, mais peut encore s’inviter de la seule manière possible, la sportive, tant qu’ils ne la transforment pas en ligue fermée

Après 40 ans de supportérisme forcené (mais pas toujours revendiqué ni assumé), des décennies marquées le plus souvent par la lose, pas toujours beautiful, loin s’en faut, c’est un aboutissement d’autant plus WAW qu’il est inattendu à un tel degré.

Comment expliquer qu’un tel lien se crée entre un individu et un club de foot ?
Il est question à la fois de transmission et de frustration, d’humiliation et de fierté, d’une forme de résistance …
mais le fait est que, depuis mon père, dont la prometteuse carrière briochine s’est terminée dans un talus à mobylette – son cousin (Michel Le Milinaire), instit’ « rouge » devenu l’équivalent de Guy Roux en Mayenne – le si discret Loulou Floch qui tenait le tabac-presse-librairie de mon village et jouait en toute simplicité pour les Paotred Rosko après avoir été ailier des équipes de Monaco, de Paris et de l’équipe de France – les voyages début 80 de Roscoff à Brest où l’on se garait du côté du Rally pour voir les matchs du Stade dans la grande ville de béton,
il s’est créé un lien indéfectible entre moi, joueur timide essentiellement reconverti en fan, et ce club qui atteint ce soir une forme de consécration.

Qui m’a arraché des larmes, comme la première et la deuxième victoire de l’équipe de France en coupe du monde

Parmi les innombrables conjonctions favorables à cet exploit, celle-ci est majeure : en décembre Rennes fait une offre pour acheter les services de Lees-Melou, le genre d’offre gagnant-gagnant qui ne se refuse pas, surtout quand on a peu d’ambition ; et là il se passe quelque chose d’inédit à Brest : le président Le Saint met son veto et le dit dans le vestiaire (selon le joueur, interview entendue le 24 février sur C+) ; deuxième temps exceptionnel lié au profil atypique de notre meilleur joueur : légitimement déçu, il ne déjoue pas, au contraire il continue à monter en puissance !
Et il y en a eu sur le terrain, des gestes d’exception : Doumbia force 4 face aux merlus en cadeau de Noël, la Madjer de Pereira-Lage face au PSG, le but de PLM contre l’OM, celui de Del Castillo jeune papa qui dénoue le derby retour contre les merlus, jusqu’à cette tête plongeante de Brassier qui nous offre la qualif’ !
Et que dire des innombrables interventions décisives de notre flying dutchman, Marco Bizot, super mec, et de la grinta non moins décisive de Martin Satriano, que l’on devrait acheter à l’Inter de Milan

C’est le moment de l’avouer : je suis allé à Guingamp la voir, cette déesse Europe, il y a bien longtemps, en 96, incarnée par l’Inter de Youri « the snake » Djorkaeff, et j’ai supporté les intrus en rouge et noir, évidemment – qui ont subi le froid et légendaire réalisme italien encore en vigueur à l’époque

Et alors me direz-vous ?
Ben rien, ALLEZ BREST !

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Charlie aura de la compagnie

texte publié le 10 janvier 2015 sur le site de Brest en Bulle pour annoncer la création de la revue Casier[s]

Une revue va naître à Brest. Une revue faite par des auteurs de BD pour parler de leur ville.

Ce projet a été initié bien avant le funeste 7 janvier 2015 et l’annonce officielle de son lancement était prévue ces jours-ci : la 2e réunion, programmée de longue date, a eu lieu hier soir et en constitue le véritable acte fondateur.
Le collectif que nous avons réuni à l’initiative de Gwendal Lemercier, Gildas Java, Briac Queillé et Josselin Paris entend renouer dans notre cité avec le plaisir de la création commune qui a animé naguère Les Violons Dingues, puis le projet d’exposition et d’album nommé Brest en bulles en 2009.

Bien sûr cette annonce prend une résonance particulière dans les moments difficiles auxquels nous sommes confrontés.
Il nous a semblé que cela avait un sens de publier un faire-part de naissance de ce genre à l’heure où des fous furieux prétendent supprimer dans notre pays l’usage du libre arbitre, la création pacifique et la célébration de la vie qui se fout de tous les dogmes.
Certes, cette revue n’aura pas comme visée principale la satire politique, mais ses créateurs partagent un goût prononcé pour ces libertés fondamentales pratiquées avec talent et courage par la bande de Charlie Hebdo à qui ils rendront hommage lors du prochain festival de Loperhet.
Vous serez tenus régulièrement au courant de l’avancement de cette aventure collective qui commence.

En attendant, nous vous donnons rendez-vous demain dans la rue, crayons à la main, pour saluer l’avant-garde joyeusement iconoclaste décimée mercredi. Je gage qu’il ne sera pas difficile de trouver Charlie dans cette foule que l’on espère la plus massive possible.