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Feu!

Ce matin, sur le chemin du bahut, j’ai écouté – comme il se doit en tant que prof – Inter, et suis tombé sur Arthur Teboul interviewé par Rebecca Manzoni.
Il a évoqué son parcours, son attrait pour les boys bands et le rap alors qu’il était en CM2 et ressentait l’euphorie liée à la coupe du monde 98, la découverte des poètes maudits au lycée, le moment de bascule vers une carrière artistique – lui qui abordait la vingtaine en école de commerce – quand il a participé au débotté à un concours de slam à la Bellevilloise.
Quand j’ai coupé le moteur vingt minutes avant la fin de l’émission, son interprétation de L’affiche rouge d’Aragon et Ferré, lors de l’entrée du couple Manouchian au Panthéon en février 2024, repassait à l’antenne …

Nous avons découvert Feu! Chatterton lors d’un concert au Run ar Puns de Châteaulin en février 2015, pour ce qui restera l’un des concerts les plus marquants auxquels j’ai assisté : fusion parfaite entre grain de voix pour chanson à texte et instru pop-rock/électro, présence scénique étonnamment naturelle mêlant faux snobisme lié au propos littéraire et vraie complicité avec le public. Ce soir-là, je me suis rendu compte que le dernier choc de ce genre, dans un mode beaucoup plus rock et électrique, datait de mes années lycée : Noir Désir.

Un an plus tard, en février 2016, l’occasion s’est présentée de les rencontrer à Brest dans le cadre de nos activités de l’époque liées au festival de bande dessinée – que nous n’avions pas encore réussi à établir à Brest d’ailleurs. Cette rencontre a eu lieu à la Carène, menée par ma compagne, Véronique, captée par Alain Le Bellu et crobardée par Guillaume Duval :

Leur nouvel album, Labyrinthe, est sorti aujourd’hui.
Il s’ouvre par une chanson, « Allons voir », qui dit ceci (j’ai fait des coupes) :

« Allons voir
Ce que le vie nous réserve
N’ayons peur de rien
Et si c’était la mer à boire
Eh bien, que la mer t’abreuve
Le ciel sera toujours bas
A ceux qui vivent sans courage
Tu ne les écoutes pas
Quand ils disent « ce n’est pas de ton âge »
Et tu vas vers ce pays
vers cette vie qui enivre
Comme celle que tu lis
Le soir dans les pages des livres
Il est temps de vivre »

Merci à eux pour ce mélange de lyrisme mélancolique et de volonté de bonheur, dans le contexte.

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Une arête dans la gorge du monde

Quel bel été 2025 !
Certes, il y eut quelques désagréments pour troubler la quiétude estivale : des chaleurs un peu vives dégénérant en incendies si difficiles à contrôler qu’ils ont dévasté des régions entières dans le sud, une guerre toujours en cours à une heure et demie d’avion de Paris vers l’est, et puis … Gaza.

Ce mot, si souvent prononcé, ressemble au bourdonnement d’un insecte qu’on n’arrive pas à chasser de son oreille. Il m’a amené à m’intéresser davantage à ce pays nommé Palestine et à celles et ceux qui, directement concernés ou non, ont écrit sur l’exil et le combat de ses habitants depuis 1948. Quelles belles rencontres j’ai faites cet été à ce sujet ! Aussi belles que ce dernier est aride, sordide, complexe, terrifiant.

Sur les conseils de ma fille aînée « Un détail mineur » d’Adania Shibli m’a servi de porte d’entrée, puis un recueil de poèmes de Mahmoud Darwich ; ensuite deux ouvrages d’Elias Sanbar – « Le bien des absents » et son Dictionnaire amoureux de la Palestine – m’ont rendu artificiellement familiers certains lieux et faits : la Nakba bien sûr ; Sanbar a quinze mois en 1948 quand sa mère l’emporte loin de sa ville natale, Haïfa ; il n’y reviendra qu’en 1995 ; la dolce vita du Liban d’avant la guerre : « Nous sommes la Suisse de l’Orient, répètent à l’envi les fêtards » ; la fierté arabe quand Nasser annonce la nationalisation du canal de Suez ; la terrible désillusion de la guerre des six jours en 67 ; ces mots de son père (qui mourra le lendemain, 15 juin 67) : « Ne sois pas triste. Personne ne parviendra à se débarrasser de nous. La Palestine est une arête plantée dans la gorge du monde. Personne ne parviendra à l’avaler. Ne t’inquiète pas » ; les forêts d’Ajloun, théâtre de l’écrasement des feddayin par les troupes du roi Hussein de Jordanie en septembre 1970 …
Et puis cette incroyable rencontre avec Jean Genet que lui présente son ami Mahjoub, médecin égyptien communiste : « Tu connais l’ikhtyar (le vieux, surnom également utilisé pour désigner Arafat, qui n’avait pourtant qu’une quarantaine d’année à l’époque) assis là ? »
Car oui : j’ai également découvert le coup de foudre de Genet pour les Palestiniens jusqu’à cette forme d’épiphanie tragique qui le saisit en arpentant le massacre du camp de Chatila en 1982 et qu’il communique dans un texte-coup de poing extraordinaire, « Quatre heures à Chatila ».
Le foisonnant recueil de textes réunis par Jérôme Hankins autour de cette expérience a balayé l’idée très sommaire et caricaturale que j’avais de Genet et me l’a rendu aimable et étonnamment lumineux, tant son empathie – lui parle d’amour – pour ce peuple-paria apparaît sincère et profonde, et sa vision originale et féconde, par exemple cette image du tapis tiré sous les pieds des Palestiniens pour parler de la perte de leur terre, en trois secousses brutales (1948, 56 et 67) ; l’évocation de la beauté des feddayin que l’émancipation révolutionnaire soufflant dans les bases jordaniennes de 1970 transfigure et fait rayonner ; celle de la force et l’humour des femmes palestiniennes qui rendent la vie possible dans les camps de réfugiés et avec qui il ressent une immédiate complicité, tandis que leurs hommes, paysans désormais sans terre, se sentent humiliés et comme castrés, selon les mots de Leila Shahid qui ajoute : « Les hommes sont tous là avec les épaules courbées, le keffieh qui pend, ils ont l’air complètement figés, surtout les vieux. Les femmes sont très fortes, avec leurs fils à leurs côtés, les feddayin ; eux sont encore debout car ils ont un fusil, et d’une certaine manière, ce fusil leur rend une force que leur donnait leur présence sur leur terre. » ; autre exemple notable, la réflexion autour du regard de l’Occidental sur le paysage que constitue la misère du tiers monde pour expliquer ce qui, à ses yeux (ceux de Genet, j’y reviens), s’est joué en 1972 à Munich : « Le vrai luxe pour l’œil, c’est de pouvoir couver du regard un homme pauvre, ou des conditions de vie misérables, comme un objet décoratif. (…) Que personne ne touche au spectacle que je suis en train de contempler : je sais qu’il est fait de souffrances et de haillons, cependant il satisfait non seulement mes exigences esthétiques mais aussi mon besoin de prouver ma supériorité, en me montrant capable d’apprécier la condition du pauvre comme étant là pour me donner du plaisir. (…) L’apparition, sur les écrans de télévision et à la « une » des journaux, de la silhouette dissimulée sous une cagoule percée de deux trous et surmontée d’une sorte de « chignon » était à la fois effrayante et désagréable. Elle est la preuve, me semble-t-il, que Septembre noir refusait d’être ce paysage, ce tiers monde d’opérette, cette couleur locale où la mort et la misère, considérées de loin par les « spectateurs » européens, sont agréables à regarder. (…) En transférant la lutte en Europe, Septembre noir l’a ramenée sur son véritable terrain … »
Je n’étais pas encore né en 1972, mais je vois de quelle photo il parle. En revanche je me souviens dix ans plus tard de ce mélange de confusion, de gravité et d’horreur qui accompagnaient les quelques images de mauvaise qualité en provenance de Beyrouth à la télévision de l’époque ; je me souviens surtout de ces deux noms, Sabra et Chatila : les syllabes qui les composent semblent porter en germes la violence et la désolation.
À propos d’images, j’ai aussi vu « Ici et ailleurs », le film que Jean-Luc Godard a fini par sortir en 1976 à partir des rushes qu’il avait pris en 70 au sein de la guérilla palestinienne. Il se détourne logiquement de son projet initial au profit d’une réflexion sur la société du spectacle très en avance sur les temps à venir – qui sont les nôtres.

Qu’elle semble loin en effet aujourd’hui, la révolution socialiste et laïque des feddayin, à l’heure du Hamas ! Mais la juste revendication de ce « peuple de trop » (l’expression est d’Elias Sanbar) demeure, et les plus démunis de ses survivants sont en train de crever sous les yeux du monde faussement compatissant.
Je terminerai en reprenant cette interrogation du même Sanbar  : « Nous avions l’habitude de dire : « les Palestiniens sont les juifs des Israéliens ». Et s’ils étaient en réalité leurs Peaux-Rouges ? »
Le 7 octobre 2023, certains d’entre eux sont sortis de leur réserve, pour le pire.

Long live Balestine !
(il paraît, selon l’auteur du dictionnaire amoureux de ce pays rendu à la fois imaginaire et concret par la force, qu’un moyen assez sûr d’identifier une personne d’origine palestinienne est son incapacité à prononcer le p qu’elle transforme en b quand elle s’exprime dans une langue autre que l’arabe)

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Lynch age

Les très grands artistes créent des univers. David Lynch est de ceux-là.
Je fais partie de cette génération qui l’a découvert avec un objet non identifié, Eraserhead, et dont l’adolescence s’est terminée en suivant, médusée, l’histoire du martyre de Laura Palmer.
Twin Peaks, soap surréaliste, et les notes de Badalamenti qui en introduisaient les épisodes, sont profondément et à jamais ancrés dans nos cerveaux, comme un cauchemar jubilatoire.

Ce weekend qui a précédé les images glaçantes du retour de Trump au pouvoir, on a revu Blue Velvet, Sailor et Lula, Twin Peaks the return (les premiers épisodes) et retrouvé les obsessions du cinéaste : l’Amérique diurne, oppressante, absurde ou ennuyeuse à mourir, côtoyant un monde de la nuit où s’ouvrent les possibles, bien souvent maléfiques car les pulsions s’y déchaînent
des relations intenses se nouent entre des êtres mus par des désirs incandescents
des femmes rendues folles, meurtries, immolées par des hommes tarés, sadiques, souvent en proie à des régressions infantiles violentes
mais ces femmes sont fatales, sphynges ou vampires, tueuses elles aussi

La chair, le sang, l’animal en nous …

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Rennes-Brest A/R

Samedi 7 décembre

Darragh souffle encore fort ce soir et pousse bruyamment contre les huis. Je n’ai pas sommeil, ayant fait la sieste cet après-midi après avoir arpenté les halls de Bruz une bonne partie de la nuit dernière. Circonstances qui m’amènent à raconter cette expérience en terrain connu qui m’est arrivée hier.

Nous (ma compagne et moi) étions à Rennes depuis la veille. Saisissant l’occasion d’une grève pour la défense de la fonction publique, nous avions décidé de faire d’une pierre une rolling stone : nous joindre au cortège des collègues rennais pour exprimer notre colère à l’encontre des déclarations du moustachu ministre en charge de notre secteur au sein de l’éphémère gouvernement Barnier, notre rejet aussi, devenu épidermique, du ravi de la crèche qui s’accroche comme un forcené à son poste de président, et en profiter pour renouer avec les Transmusicales.

Je passe sur le plaisir de ces retrouvailles et sur les multiples découvertes que nous avons faites, ce n’est pas l’objet de cette chronique.

Le fait est que hier, vendredi, j’ai pris le TER de Rennes pour aller faire cours dans mon lycée brestois. Nous étions logés du côté de Bréquigny, j’ai pris la voiture pour la garer près de la gare dans une ambiance de crachin très … brestoise. Départ 6h, arrivée 8h25. J’ai somnolé comme un appelé, en me recroquevillant entre deux sièges, la tête sur mon barda (mon sac de cours et mon manteau) contre l’accoudoir côté couloir, jusqu’à Morlaix, puis j’ai entrepris de reprendre forme présentable, en me remémorant les dix ans d’allers-retours entre ces deux cités (Morlaix/Brest) quand j’étais jeune enseignant, et en écoutant les bribes de conversation de gens qui font actuellement ce trajet.

À l’arrivée, il a fallu crapahuter : prendre l’escalier pour attraper Gambetta, puis la rue de la République vers laquelle convergeaient de jeunes parents menant leurs gamins vers les écoles, longer le cimetière de Saint-Martin pour remonter vers l’Octroi, bifurquer vers le Pilier rouge où s’installait le marché, prendre la ruelle – si familière depuis Casiers[s] – qui mène à Jaurès, ensuite le ribin de Kerfautras, la descente de la rue Lesven en passant devant le collège où j’ai travaillé 12 ans … bref, je suis arrivé tout juste à l’heure pour mon premier cours à 9h.

Mais quel plaisir de marcher à nouveau dans ma ville de cette manière ! Le temps s’était éclairci, il faisait frais. La claque océane, l’amplitude de la rade, la lumière au lever du jour… C’était beau et vivifiant, et les quartiers traversés s’éveillaient sereinement.

Quand je suis sorti du lycée à 15h pour faire le chemin inverse, le crachin était revenu et je suis entré trempé dans le TGV. Arrivé à Rennes, je suis descendu directement au Liberté rejoindre ma compagne pour assister aux concerts de début de soirée, puis nous sommes remontés vers la gare pour récupérer la voiture. De grandes boules à facettes projetaient des taches lumineuses aux abords de la gare dont la refonte a été si longue. Du haut de sa butte artificielle bordée de tubulaires décoratifs, en contemplant cette place qui, bien que remodelée, demeure si typiquement provinciale, et dépourvue de perspective, puisque la vue de l’avenue Janvier était masquée par un grande sapin de Noël, quand on vient de Brest, on ne peut que se sentit à l’étroit.

Eh oui, c’était encore là que je voulais en venir : un panégyrique de la cité du bout de notre bout de terre ; sauf que l’aller-retour ferroviaire d’hier était aussi un voyage dans le temps, à la faveur duquel je me suis rendu compte qu’il était plus difficile de la défendre quand j’étais plus jeune – du fait justement de ma jeunesse, peut-être, mais surtout parce que Brest a changé d’allure ; le complexe d’infériorité a disparu, et il me faut désormais faire attention à ne pas toiser les gens de la « capitale ».

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Dans l’œil du corbeau

Le 11 septembre 2020, un pigiste de Ouest-France nous prenait en photo, moi et ma compagne da viken, pour le lancement du festival de BD de Brest – cette photo, prise sans masque sur la passerelle du jardin des explorateurs.

On était assez contents du truc, un des très rares événements culturels à se maintenir dans le pays, au prix d’efforts, de tensions, d’angoisses continus, depuis le « nous sommes en guerre » de l’autre con, jusqu’à cette bouffée d’oxygène hyper réglementée.

Deux mois plus tard, l’homme qui a pris cette photo est mort sans crier gare, le 11 novembre.
Il s’appelait Rémy Talec. Je ne le connaissais pas intimement, mais sa personne m’était familière, sa silhouette d’abord, de grand échalas figé dans les années punk/cold que tout le monde avait dans l’œil à Brest ; son tempérament ensuite, mélange de timidité, d’espièglerie et de … partialité, parce qu’il avait quand même ses chapelles musicales, comme tout grand fan de musique.

Le choc a été plus que brutal, d’autant qu’il s’ajoutait à un autre traumatisme (Samuel Paty).
Dans les jours qui ont suivi sa mort, passée la sidération, je me suis dit, ou plutôt j’ai dû me résigner à penser : ma jeunesse est finie, à partir de maintenant je vais glisser, sur une pente de plus en plus raide, vers l’extinction.
Rémy : tu incarnes ça pour moi ; je t’ai pleuré, mais en fait j’ai pleuré sur mon sort.
Je te salue, camarade, dans la mort.

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Passage de flamme

Cette photo des archives de Brest diffusée récemment sur Facebook me touche, pour plusieurs raisons.
Elle est datée de septembre 1991, le 18 exactement, c’est-à-dire à quelques jours ou semaines près le moment où j’ai fait mon entrée en tant qu’étudiant dans la grande cité de béton. À cette époque je ne connaissais pas ce côté de la ville : j’habitais rue Brossolette, sur l’autre rive de la Penfeld, à « Brest même ».
Mais moins de deux ans plus tard, en mai 93, le lendemain de mes 20 ans, j’ai assisté au sacre européen de l’OM dans un logement qui se trouvait juste au-dessus du garage Peugeot-Talbot que l’on voit au fond, dans le virage. J’en ai un souvenir factuel, très vague, parce qu’il n’y avait aucun affect concernant l’événement, surtout pas du côté de mes hôtes, deux cousins de Douarn qui se foutaient du foot – l’un des deux a piqué une tête fatale dans le port de co’ peu de temps après.

Ce carrefour, j’ai appris à le connaître bien plus tard, à partir de 2006, quand on a aménagé à Mesdoun. En remontant à droite au feu sur la photo on est à Kerangoff où certains de mes enfants ont fait leur primaire à Diwan. À gauche, j’ai mis du temps à découvrir que le cimetière de Recouvrance offrait une des plus belles vues sur Brest. En face le Caboulot a encore une enseigne de bière, mais n’a pas l’air plus en activité qu’aujourd’hui – ce troquet qui, selon une légende urbaine, a accueilli un ange noir, Vince Taylor. Plus bas, en redescendant la côte du grand Turc, après le garage dont je parlais et qui s’est spécialisé ensuite dans la vente discount de pneu comme semble l’annoncer la pub en haut à droite, il y avait le dancing des anciens, le « Petit Jardin » d’après-guerre, où venait danser paraît-il la grand-mère polonaise de ma femme. Ce qui me fait penser à ça, c’est la tignasse de la vieille dame à droite du feu rouge au premier plan qui ressemble un peu à celle de l’ancêtre de ma belle-famille.

A propos de feu, que dire de ce couple d’ados qui se bécotent sous le panneau Recouvrance, ou de l’autre pub garantissant de la douceur à propos d’un fromage, visuel chaud dans un contexte … disons neutre pour ne pas dire hostile … ?
Mais la vérité : cette photo me touche parce que demain, enfin tout à l’heure, je vais prendre la route pour installer mon dernier enfant là où il va poursuivre ses études, loin de ses darons, et de Brest.

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D.P.S revival

Hier soir, la quête d’un film à regarder en famille s’est arrêtée sur Le Cercle des Poètes Disparus. Nos enfants nés après l’an 2000 en avaient entendu parler et étaient curieux de le voir. Pour nous parents, la question était de savoir s’il avait bien vieilli, s’il fonctionnait encore.

Hiver 89-90, à la mi-temps du lycée. J’étais en première et avais donc l’âge des garçons du film. J’étais amoureux d’une fille à qui je trouvais un charme anglais irrésistible, elle s’appelait Emily. Elle était en C avec la plupart de mes potes, je glandais en A1. Elle menait sa barque scolaire avec un pragmatisme très anglo-saxon, je jouais les écorchés en écoutant « Noir-Dez ». Pour moi la littérature était plus qu’une chose forcément mal enseignée à l’école, c’était un truc à vivre, pile le discours tenu par Keating dans ce film-phénomène qui alimenta un temps nos discussions de flirt (beaucoup trop platonique à mon goût) et qui nous donna l’occasion de surjouer nos personnages, elle de réac’ à la perverse froideur, moi de romantique intransigeant – c’était aussi l’année d’Un monde sans pitié, et je glissais un « putain » révolté dans toutes mes phrases, à la manière d’Hippolyte Girardot.
Elle pointait la responsabilité du prof, qui avait outrepassé son rôle, contrairement au père de Neil qui était dans le sien ; je défendais bien sûr le message émancipateur de Keating, tout en affectant une distance un brin méprisante à l’égard de ses méthodes, ses trop grosses ficelles, du genre on ne me l’a fait pas, je suis au-dessus de ça, moi qui suis déjà affranchi n’est-ce pas – tout ça pour masquer la joie trouble que j’avais eue à regarder ce film : je me débattais dans le marasme adolescent et voilà que l’œuvre de Weir entrait complètement en résonance avec ce qui m’agitait à l’époque ; la vérité était qu’elle m’avait bouleversé, comme des millions de personnes, en osant poser sans vergogne cette question totalement anachronique: a-t-on le droit, est-il possible de vivre en poésie ?

La réponse à l’interrogation formulée en préambule est positive, comme en attestent les réactions de nos grands enfants hier soir. La qualité des plans, le rythme de la narration, la savante composition de scènes amusantes et poignantes, les prestations des acteurs, l’emphase maîtrisée du propos, tout concourt à en faire un grand film de genre, apte à traverser le temps et à être revu avec un plaisir je ne dirais pas intact, mais réel. Quant à la question fondamentale qu’il pose, je tente encore d’y répondre depuis 34 ans.

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polis

Mauvais trip

Jour J : vote à Portsall vers 8h45, 2+2 (procurations de deux de nos enfants) ; il y a déjà du monde ; le vieil assesseur en première ligne, sapé, tutoie vite pour feindre la familiarité, n’est pas très efficace, mais cherche à se donner une contenance – mal réveillé et ému, sans doute.
Puis la route se déroule, sous un temps dégueu à l’approche de Quimper, s’éclaircissant après Angers.
Un podcast sur « la Jamaïque avant Bob Marley » rythme notre trajet – et on ne peut s’empêcher d’imaginer ce que serait une FM privée des ressources de Radio France à cause d’un gouvernement hostile au service public et à la culture.
Après Bourges, il commence à faire chaud pour des Bretons ; ça se vallonne, mais la Polo « voiture de l’année 2010 » de mon frangin ne donne aucun signe de fatigue.
En fin d’après-midi, nous atteignons notre but : un F1 dans la zone de Clermont-Ferrand ; et, tandis que nous essayons de nous alimenter dans un resto, nous parviennent les prémices d’une bonne surprise. Je tente de gérer le truc en prenant en photo le Puy cher à Giscard, mais en vérité cette nouvelle, qui aurait dû me soulager, est vite balayée par les déclarations subies à la télé dans un cagibi sous clim ; la nuit qui a suivi a été pour moi quasi blanche et maladive : mauvais trip.

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Dernière foi

Bien que les jeux soient faits dans ma circonscription, j’irai voter
J’irai voter pour mes enfants ; une de mes filles, dont j’ai la procuration, m’a dit spontanément au lendemain du premier tour :
« vas-y, par sécurité ».
J’irai voter Le Gac
en dépit, et justement à cause du honteux ni-ni de son camp et de la politique de son chef qui a pu faire penser à certains moments ces sept dernières années que l’extrême-droite était déjà au pouvoir
J’irai voter comme en 2002, 2017, 2022, contre mon camp
J’irai voter parce que je suis, et tous ceux qui pensent comme moi, nous sommes la gauche, le seul rempart contre le pire
la gauche que l’on piétine dès que le pouvoir est atteint
mais nous serons toujours là, pour être au moins votre mauvaise conscience.
Une chose est sûre : lundi la balle ne sera pas au centre.
S’il faut qu’une coalition se forme pour gouverner ce pays, espérons qu’elle penchera … à gauche.

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Stade brestois coupe d’Europe !

L’Europe !
Putain : l’Europe !!!
Et sur un tel score, à Rennes …
L’Europe, le Graal, la verte prairie des culs bénis
et peut-être la portion la plus indécente de la sus-dite, celle où l’herbe est plus grasse, le pré carré des nantis, l’espace VIP où un club comme le nôtre n’a pas sa place, mais peut encore s’inviter de la seule manière possible, la sportive, tant qu’ils ne la transforment pas en ligue fermée

Après 40 ans de supportérisme forcené (mais pas toujours revendiqué ni assumé), des décennies marquées le plus souvent par la lose, pas toujours beautiful, loin s’en faut, c’est un aboutissement d’autant plus WAW qu’il est inattendu à un tel degré.

Comment expliquer qu’un tel lien se crée entre un individu et un club de foot ?
Il est question à la fois de transmission et de frustration, d’humiliation et de fierté, d’une forme de résistance …
mais le fait est que, depuis mon père, dont la prometteuse carrière briochine s’est terminée dans un talus à mobylette – son cousin (Michel Le Milinaire), instit’ « rouge » devenu l’équivalent de Guy Roux en Mayenne – le si discret Loulou Floch qui tenait le tabac-presse-librairie de mon village et jouait en toute simplicité pour les Paotred Rosko après avoir été ailier des équipes de Monaco, de Paris et de l’équipe de France – les voyages début 80 de Roscoff à Brest où l’on se garait du côté du Rally pour voir les matchs du Stade dans la grande ville de béton,
il s’est créé un lien indéfectible entre moi, joueur timide essentiellement reconverti en fan, et ce club qui atteint ce soir une forme de consécration.

Qui m’a arraché des larmes, comme la première et la deuxième victoire de l’équipe de France en coupe du monde

Parmi les innombrables conjonctions favorables à cet exploit, celle-ci est majeure : en décembre Rennes fait une offre pour acheter les services de Lees-Melou, le genre d’offre gagnant-gagnant qui ne se refuse pas, surtout quand on a peu d’ambition ; et là il se passe quelque chose d’inédit à Brest : le président Le Saint met son veto et le dit dans le vestiaire (selon le joueur, interview entendue le 24 février sur C+) ; deuxième temps exceptionnel lié au profil atypique de notre meilleur joueur : légitimement déçu, il ne déjoue pas, au contraire il continue à monter en puissance !
Et il y en a eu sur le terrain, des gestes d’exception : Doumbia force 4 face aux merlus en cadeau de Noël, la Madjer de Pereira-Lage face au PSG, le but de PLM contre l’OM, celui de Del Castillo jeune papa qui dénoue le derby retour contre les merlus, jusqu’à cette tête plongeante de Brassier qui nous offre la qualif’ !
Et que dire des innombrables interventions décisives de notre flying dutchman, Marco Bizot, super mec, et de la grinta non moins décisive de Martin Satriano, que l’on devrait acheter à l’Inter de Milan

C’est le moment de l’avouer : je suis allé à Guingamp la voir, cette déesse Europe, il y a bien longtemps, en 96, incarnée par l’Inter de Youri « the snake » Djorkaeff, et j’ai supporté les intrus en rouge et noir, évidemment – qui ont subi le froid et légendaire réalisme italien encore en vigueur à l’époque

Et alors me direz-vous ?
Ben rien, ALLEZ BREST !